mercredi, mars 30, 2011

Réconciliations

À l’indépendance de Madagascar, l’un des premiers actes de Philibert Tsiranana fut de faire rentrer d’exil les trois anciens députés leaders du parti nationaliste dissout MDRM : Joseph Ravoahangy, Joseph Raseta et Jacques Rabemananjara. Ceux-ci retrouvèrent Madagascar le 20 juillet 1960 après douze années d’exil en France.

Quoi qu’on puisse penser de Philibert Tsiranana, il faut lui reconnaître une réelle intelligence politique et un sens de l’unité nationale qui allait au delà des apparences de l’époque. Car le même Tsiranana figurait en juin 1946 parmi les fondateurs d’un parti s’opposant clairement au MDRM : le Parti des déshérités de Madagascar ou PADESM était francophile et était formé principalement par des Côtiers et des Mainty. La création de ce parti semblait alors aller dans le sens de la « politique des races » inaugurée par Gallieni et servant depuis de toile de fond de la politique française à Madagascar.

En faisant rentrer en 1960 les leaders du MDRM, puis en décidant à partir de 1967 de commémorer les événements de 1947 [1], Philibert Tsiranana entendait marquer qu’une page était tournée. Cet objectif fut atteint, et la Nation dans son ensemble en a bénéficié. Pendant des années, l’appropriation commune par l’ensemble des malgaches des mouvements de 1947 était indiscutable.

Force est cependant aujourd’hui de constater que les mystères autour de la génèse des événements et les rouages de leur répression continuent de mettre en péril le caractère unificateur pour le pays du souvenir de la rebellion. Et les deux dernières années n’ont pas contribué à améliorer la situation.

Romulus et Rémus pour Rome, Vercingétorix pour la Gaule, Guillaume Tell pour la Suisse, l’épopée du Mayflower pour les États-Unis : toute nation se fonde aussi sur une part de mythe. Tout à l’époque n’était pas forcément glorieux, mais les années ont contribué à atténuer l’importance des détails trop crûs ou tout banalement trop humains. Pour les mêmes raisons, 1947 devrait continuer à unir les malgaches, pas à les diviser. Il faudrait se garder de malmener excessivement cette page importante de l’Histoire de Madagascar en cherchant trop à expliquer les réalités d’aujourd’hui par la seule perpétuation des rivalités d’antan. Il ne s’agit pas ici d’étouffer la recherche historique, mais de garder à l’esprit que le mystère le plus important de 1947 est celui de l’incroyable courage de ces gens ordinaires de toutes les régions de Madagascar qui sont allés affronter avec de simples sagaies des militaires étrangers qui n’hésitaient pas à tirer à balles réelles.

Qu’importe alors les leaders, et leurs motivations personnelles qui ne peuvent que nous échapper au moins partiellement. Après tout, leur carrière politique ne s’est pas arrêtée là. Si Ravoahangy et Rabemananjara choisirent de se rallier à Tsiranana, Raseta, alors doyen d’âge de l’Assemblée, se distingua en mai 1961 par un discours incendiaire contre le Gouvernement lors de la rentrée parlementaire. Comme pour nous rappeler que la réconciliation nationale ne doit pas forcément signifier partage des mêmes idées, mais partage des mêmes valeurs.

En 2011, à nous de garder celles-ci en tête. Et à nos hommes politiques d’avoir la même intelligence que Tsiranana, Rabemananjara, Ravoahangy et Raseta qui ont su lorsque nécessaire mettre de côté ce qu’ils étaient.
L'express de Madagascar, mercredi 30 mars 2011, par Patrick A.

Notes
[1] Avant cette date, hormis de simples recueillements, aucune manifestation commémorant la date du 29 mars 1947 n’était autorisée.
par Patrick A.