lundi, décembre 07, 2009

Après la crise... la bonne gouvernance ?

Après la crise... la bonne gouvernance [1]?
Tribune, mercredi 2 décembre 2009

L’histoire politique de la Grande Ile de ces dernières décennies se résume à un éternel recommencement. Nos intellectuels qui s’improvisent dirigeants de temps à autres suivant le courant n’ont nullement retenus les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Pourtant, il est connu que ceux qui ne s’informent pas sur leur passé seront toujours condamnés à répéter les mêmes erreurs [2]. L’homme d’État, le bon, qui prévoit à long terme (héritage culturel, écologique, démocratique et flamboyance économique) à la différence du politicien qui ne pense que le bout de son nez (élection= Ady seza) [3], devrait savoir que pour envisager sereinement le chemin à emprunter (formulation d’un projet de société) la moindre des choses serait d’essayer de connaitre où on voudrait aller (un développement économique et humain durable soutenu par une structure institutionnelle et démocratique à toute épreuve). Naïf serait toutefois l’homme d’État qui ne tiendra pas compte du chemin déjà parcouru et les errances du passé pour régler ses pas dans le futur. En d’autres termes, pour améliorer les choses il faut se demander quelles sont les bonnes valeurs à conserver, quelles ont été les erreurs commises dans le passé et quelles sont les bonnes idées à introduire ?
Pourquoi en est-on arrivé là ?

1972, 1991, 2002, 2009... le dénominateur commun de ces crises relève de l’évidence : le ras-le- bol du citoyen lambda relatif à la gestion défectueuse en haut lieu pour emprunter un langage simple. Ce dernier, n’étant pas de fins économiste, gestionnaire, politologue ni forcément la crème des juristes ne dispose pas toujours de la technicité requise pour en apporter des explications scientifiques. Il serait plus instinctif voir primaire dans sa réaction. La variation de la quantité de riz qui atterrit sur son bol au quotidien malgré les propagandes politiciennes alentour lui servirait de baromètre pour établir un lien de cause à effet entre mauvaise gouvernance et l’effritement de son pouvoir d’achat, ou appelons un chat un chat, sa misère [4]. La perception chez Monsieur tout-le-monde d’une mauvaise gouvernance dans la conduite des affaires nationales a été l’élément déclencheur de toutes ces crises dont le début s’est matérialisé par une descente sur la célébrissime place du 13 mai. La place où se font et se défont régimes et républiques.
Comment éviter les errances du passé ? Quoi faire pour s’acheminer vers une perception positive de la gouvernance ?

Dans la vie rien n’est absolu, tout est relatif et dépend du regard avec lequel un objet ou une situation est observé. Or, la perception vient de la conceptualisation des sensations et sentiments captés par ce regard. Ainsi, pour inverser la tendance, il n’y a pas de règle mathématique. À situation exceptionnelle, il n’est pas toujours conseillé d’adopter des mesures exceptionnelles malgré l’adage bien connu. Dans ce cas ci, le chemin à suivre est bien ordinaire, c’est-à-dire, connu de tous mais les responsables de ce pays n’ont pensé utile d’emprunter par manque de volonté politique ou par mauvaise foi. Il faut commencer par agir là où le premier regard frappe l’imaginaire et influence la perception : les règles du jeu démocratique [5]. L’instauration d’une bonne gouvernance commence par la définition de règles de jeu claires. Déformation de juriste diront certains. Il est clair que le droit ne règle pas tout. Personne ne peut toutefois nier à ce sujet que des propositions juridiques bien pensées constituent un bon commencement.
Une loi fondamentale consacrant une meilleure répartition des pouvoirs et des règles précises sur la nomination, mandat et responsabilité des gouvernants

Le postulat de la séparation des pouvoirs de Montesquieu demeure d’actualité. Aucun étudiant de première année des Facs de droit n’ignore ces quelques passages du volumineux livre du théoricien : « (...) c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir, est porté à en abuser : il va jusqu’ à ce qu’il trouve des limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir (...) Tout serait perdu si le même homme ou le même corps exerçait ces trois pouvoirs, celui de faire des lois, celui d’exécuter et celui de juger » [6]. Aussi curieux que cela puisse paraitre toutefois, nos hommes politiques depuis l’indépendance, des intellectuels parmi lesquels de surcroit d’illustres juristes, ne semblent ou font semblant de ne pas être au parfum vu leur modus operandi durant leur passage au pouvoir [7].

Dans son acception générale, le concept de séparation des pouvoirs circonscrit la nécessité d’une répartition des pouvoirs étatiques entre trois titulaires classiques qui interagissent et se contrebalancent, en l’occurrence, la puissance exécutive, la puissance législative et la puissance judiciaire. Le but avoué est celui d’atteindre un meilleur équilibre et d’éviter l’émergence d’un pouvoir arbitraire et autocratique. La nouvelle Constitution de la quatrième république devra annoncer, d’une part, en de termes clairs la répartition équilibrée des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Ses concepteurs devront, d’autre part, définir sans ambigüité les règles de nomination et d’alternance des personnes appelées à exercer les pouvoirs publics. Enfin, l’insertion dans la loi fondamentale de règles claires sur la responsabilité des gouvernants évitera le mécanisme d’impunité actuel qui pousse la plupart aux abus divers. Tout dépend toutefois de la bonne volonté de ceux qui vont prendre le gouvernail. Aussi équilibrée et bien écrite soit la loi fondamentale, l’effort ne servirait à rien si chaque Président élu s’empressera d’organiser un référendum constitutionnel dès son élection afin de « tailler » celle-ci « à sa mesure » [8].
Une loi électorale équitable, un statut des partis politiques et une règle de financement clairs

Le législateur devra détailler les règles de bases définies par les Constituants relativement à la nomination, mandat et alternance des gouvernants. N’oublions pas que qui dit démocratie dit en premier lieu élection. Gage de la stabilité et de la participation démocratique, l’étincelle peut survenir facilement d’une contestation électorale (crise de 2002).
Un accent particulier sur l’instauration d’une magistrature indépendante

Le défi est simple : rompre avec une magistrature malléable et manipulée par les pouvoirs politiques et économiques [9]. La structure judiciaire du pays devra bénéficier de moyens juridiques, humains, logistiques et budgétaires adéquats. C’est une condition sine qua non pour qu’elle puisse, d’une part, jouer pleinement son rôle de garde-fou ou de contrepoids de l’exécutif et du législatif, et d’autre part, sanctionner les responsables fautifs les cas échéant. La magistrature ne devra plus servir de simple organe « validateur » d’élections truquées en tout genre [10] ou d’outil d’« élimination » des dissidents [11]. Le recours à d’autres conceptions, notamment anglo-saxonne serait souhaitable dans un contexte de mondialisation où le bi- juridisme n’a jamais été aussi vénéré [12]. Par ailleurs, la magistrature française ne constitue pas une référence en la matière [13]. Laquelle a pourtant toujours été le modèle théorique pris par les Constituants antérieurs ayant généralement acquis leur formation en France.
Une meilleure considération des deux autres garde-fous longtemps malmenés : des médias indépendants et une société civile forte

Il est temps de redéfinir le rôle des médias par la refonte du code de la communication et la détermination de règles éthiques et déontologiques claires. La société civile mérite plus de tribune, d’écoute, de moyen et de considération dans l’ensemble de la vie démocratique du pays. La Grande Ile devra emboiter le pas des démocraties modernes actuelles où les médias et la société civile constituent un véritable « quatrième pouvoir » qui ne dit pas son nom mais tout aussi efficace que les trois autres.

Le contenu de ces propositions est connu mais longtemps ignoré. Dans un élan d’optimisme, il est tentant de soutenir que la crise de 2009 est un mal pour un bien. La situation actuelle offre une nouvelle fois à la Grande ile la possibilité de mettre le tout à plat et de recommencer de zéro. Mettons au défi la volonté politique et la bonne foi des autorités de la Transition et celles de la nouvelle république à bâtir pour en tenir enfin compte.
Anthony Ramarolahihaingonirainy est magistrat et docteur en droit,un nouvel auteur, qui nous a proposé ce texte intitulé : Après la crise... la bonne gouvernance ? [14].



Notes
[1] Parodie de l’adage « Après la pluie, le beau temps ».
[2] Goethe : « Qui ne sait pas tirer les leçons de trois mille ans vit au jour le jour ».
[3] James Freeman Clarke : « La différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération ».
[4] L’abrutissement des électeurs ou leur considération comme tel a même conduit certains politiciens à proposer un projet de société (s’il en est un) fondé en tout et pour tout sur la satisfaction des besoins en nourriture des électeurs lors de l’élection présidentielle de 1996 (la fameuse « pôlitikan’ny kibo »).
[5] Eh oui, la capacité cognitive du Malgache moyen ne se résume pas seulement à l’instinct de survie comme certains pensent. Mais lui a-t-on déjà bien expliqué ces règles ?
[6] Montesquieu « De l’esprit des lois », Paris : Garnier Frères, 1976. Livre XI, ch. IV, pp162-164.
[7] Inutile de citer des noms, les lecteurs avisés les reconnaitront.
[8] Zafy en 1995, Ratsiraka en 1998, Ravalomanana en 2007.
[9] Le conflit actuel entre les mouvances pour s’« attribuer » la Chancellerie n’est-il pas révélateur ?
[10] Le reflexe des précédents Présidents étant de changer les membres de la HCC dès leur arrivé pour y mettre des sympathisants.
[11] Les trois républiques ont eu toutes leur chapitre noir à ce sujet.
[12] L’auteur en est un fervent adepte de par ses spécialisations dans des universités nord-américaine.
[13] La conduite des récentes affaires « Clearstream » et « Angolagate » est loin d’être convaincante.

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